Un propriétaire de Longueuil est condamné à payer 70 000 $ à sa locataire.
C'est un juge de la Cour supérieure qui a tranché en faveur de la locataire
Les Maisons
Le propriétaire d'un duplex de Longueuil devra payer près de 70 000 $ en dommages de toutes sortes à sa locataire contre qui il était «parti en guerre».
C'est la Cour supérieure qui a tranché en faveur de la locataire qui affirme avoir subi des insultes, de l'intimidation, des poubelles cadenassées, des caméras dirigées vers des aires privées ou même de la musique assourdissante.
La juge a donc ordonné le propriétaire Ghislain Le Gris à payer 68 716 $ en dommages moraux, punitifs et pour des pertes matérielles sa locataire de 70 ans, ainsi qu'à son fils.
Dans son jugement, la juge Florence Lucas a expliqué: «Les comportements répétitifs révélés par la preuve prépondérante et documentée, hautement répréhensibles du propriétaire, s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie volontaire et illicite visant à nuire à la jouissance paisible du logement et à provoquer le départ de la locataire.»
Le propriétaire avait commencé à s'acharner sur sa locataire en raison du bail de celle-ci, qui est de 450 $ avec le chauffage compris, en plus d'être valide jusqu’en 2038.
L'ancien propriétaire, le père du propriétaire actuel, aurait accordé ce bail de 25 ans à des termes avantageux en 2013 comme une forme d’héritage.
Peu après le décès du père en 2016, la succession a aussitôt prétendu que le bail était faux, tout en soulignant qu'un bail d'une telle durée pourrait avoir pour effet de réduire la valeur de l’immeuble sur le marché.
Les tribunaux ont ensuite dû trancher quant à la validité du bail dès 2017, mais le duplex a alors été mis en vente par la succession et c'est alors que Ghislain Le Gris en a fait l'acquisition. Peu avant la finalisation de l'achat, la locataire s'était fait un devoir de rappeler au fils de son ancien propriétaire qu'elle détenait un bail de 25 ans, mais M. Le Gris a quand même procédé à l'achat.
On peut lire dans une décision de 2021 du Tribunal administratif du logement (TAL) que «Monsieur Le Gris a été clair : il savait avant même de signer le contrat de vente qu’il y avait un litige quant au bail du logement #1. Il a été téméraire de conclure la vente en dépit de cette immense épée de Damoclès».
À la suite de l'achat du duplex par M. Le Gris, ce dernier a aussitôt demandé à sa locataire de libérer le logement parce qu’il souhaitait tout rénover et le reprendre.
La locataire a refusé et c'est alors que le nouveau propriétaire est «parti en guerre».
La juge de la Cour supérieure a précisé: «Il lui raconte que par le passé, il n’a pas hésité à évincer un autre de ses locataires, membre du crime organisé et malgré ses menaces, cherchant apparemment à lui faire comprendre qu’il n’était pas intimidé ni par elle ni par son fils.»
Le propriétaire aurait ensuite commencé à faire jouer de la musique à tue-tête dans le second appartement, en plus de braquer des caméras vers ses locataires. Il aurait aussi cadenassé leurs bacs à ordures « sans raison valable » et la liste est très longue.
Le jugement indique: «Il prononce insultes et paroles d’intimidation, commet méfaits et voies de fait, profère des menaces de mort à l’endroit de la locataire et du chien de son fils, fait face à des poursuites criminelles et interdits de contacts, bafoués.»
Au grand malheur du propriétaire, le TAL a finalement reconnu la validité du bail de 25 ans: «Toute reprise ne pourra donc être autorisée qu’à compter de [2038].»
La Cour supérieure a aussi conclu que les gestes posés par le propriétaire avaient pour but d'encourager ses locataires à quitter les lieux.
Ghislain Le Gris a donc été condamné à payer 68 716 $ en dommages moraux, punitifs et pour des pertes matérielles à la locataire et à son fils. Le tribunal exige aussi une longue liste de rénovations dans le logement négligé de la locataire, en plus du retrait des caméras de surveillance.
Selon l'avocat de la locataire, il s'agit d'un des jugements les plus importants jamais accordés par les tribunaux québécois dans une affaire du genre: «C’est un message fort du tribunal pour dire que ça suffit, que les tribunaux vont sévir, que ce ne seront pas juste de petites amendes, que les tribunaux vont être là et que ça vaut la peine de défendre ses droits.»
Me Soleil Tremblay, l'avocat de la locataire, a rappelé que sa cliente de 70 ans serait bien mal prise si elle perdait son logement: «Les logements sont rendus beaucoup plus chers qu’avant, donc c’est une façon de favoriser le maintien dans les lieux. On est très contents de cette décision.»
Le propriétaire a réagi au jugement en déclarant à La Presse que «Le jugement qui est là ne reflète pas la réalité», tout en prétendant être la personne qui subit du harcèlement.
Enfin, Cédric Dussault, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), a déclaré: «On appelle ce genre de cas des pressions indues, avec un éventail de pressions, de harcèlement pour que le locataire quitte. On note une forte augmentation de ces tactiques et particulièrement cette année. [...] Mais une très grande majorité de ces cas n’iront pas devant les tribunaux et ne seront répertoriés nulle part.»